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Mme Viviane Le Dissez, présidente. Mes chers collègues, nous recevons ce matin M. Gérard Mestrallet qui est, depuis juillet 2008, PDG de GDF Suez. M. Mestrallet a connu et conduit la transformation de ce groupe, puisqu’il a rejoint dès 1984 ce qui était alors la Compagnie financière de Suez. À ce titre, il a donc vécu les principales étapes de la libéralisation du marché européen de l'énergie.
Une des particularités du groupe GDF Suez, dont l'État contrôle toujours plus du tiers du capital, est d'être l’un des acteurs européens de l'électronucléaire, puisqu’il possède le parc d'Electrabel, situé en Belgique. Le groupe est également présent au Royaume-Uni à travers International Power, un producteur d'électricité qu'il contrôle à 100 %. Sur le marché électrique britannique, GDF Suez compte EDF, avec sa filiale EDF Energy, parmi ses concurrents.
A priori, pour leur développement à l'international, les deux grands énergéticiens français ont plutôt bénéficié de l'ouverture des marchés du gaz et de l'électricité. S'agissant du marché français, M. Mestrallet nous indiquera sans doute quelle est sa perception de la disparition progressive des tarifs réglementés. On constate que GDF Suez propose, dans ses contrats DolceVita, des offres mixtes, gaz et électricité, à destination du grand public, avec des prix garantis sur une, deux, voire trois années et, dans certains cas, un rabais sur la première facture. De son côté, EDF propose également des offres mixtes, en apparence assez proches.
Lorsque GDF Suez propose une fourniture d'électricité en France, doit-il être considéré comme un fournisseur alternatif ? Cette question appelle une réflexion plus générale sur le dispositif de l'Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH). M. Mestrallet pourra nous dire ce qu'il pense de l’évolution de celui-ci et de son caractère transitoire puisque, je le rappelle, il a vocation à s’appliquer jusqu'en 2025. À ce propos, en Belgique, les fournisseurs alternatifs ont-ils une garantie d’accès, sinon équivalente, du moins comparable à ce que nous appelons le nucléaire historique ?
J’ajoute que le groupe GDF Suez est également présent dans le secteur des énergies renouvelables, notamment depuis qu’il a racheté l’un des précurseurs de l'éolien en France, La Compagnie du vent.
Voilà, monsieur Mestrallet, quelques-unes des interrogations et préoccupations de notre commission d’enquête. Nous allons d'abord écouter votre exposé liminaire, au terme duquel les membres de la commission et, en premier lieu, sa rapporteure, Mme Clotilde Valter, vous poseront différentes questions.
Auparavant, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Gérard Mestrallet prête serment.)
M. Gérard Mestrallet, président de GDF Suez. Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, la période actuelle est extrêmement importante pour le secteur de l’énergie. Hier soir, se tenait, sur notre initiative, à l’université de Paris-Dauphine, un forum qui a réuni 1 500 personnes sur le thème : « L’énergie en état de choc ». L’énergie est en effet en état de choc. Ce choc est à la fois technologique, « régulatoire », industriel – on le voit avec E.ON, qui a longtemps été la première entreprise allemande par la capitalisation et qui en est aujourd’hui réduite à se scinder en deux –, choc également climatique, pétrolier et économique, puisque l’on constate, sur le plan énergétique, une perte de compétitivité de l’Europe par rapport aux États-Unis.
Je rappellerai brièvement l’histoire de GDF Suez. Il y a un peu moins de vingt ans, Suez a décidé d’abandonner toutes ses activités bancaires pour construire, par une succession d’alliances – avec la Lyonnaise des eaux, la Générale de Belgique, Tractebel, Electrabel, Gaz de France puis International power – un groupe qui est aujourd’hui, avec Total, l’un des deux groupes français à figurer parmi les trente premiers mondiaux, tous secteurs confondus. Notre activité s’exerce donc désormais exclusivement dans le secteur de l’énergie. Le chiffre d’affaires du groupe s’élève à 80 milliards d’euros, Suez Environnement, dont GDF Suez détient toujours 35 %, ayant son autonomie et réalisant un chiffre d’affaires de 15 milliards dans le secteur de l’eau et des déchets.
Nous avons donc vécu l’ouverture des marchés, qui est l’un des phénomènes qui, ces quinze dernières années, ont influé sur la structure des marchés de l’énergie en Europe. Parmi les autres facteurs, il faut citer le facteur technologique. L’énergie est en effet produite par des unités non seulement renouvelables, mais aussi de plus en plus petites, de sorte qu’elles peuvent être installées sur l’ensemble du territoire, au plus près des consommateurs : individuels, industriels et collectivités locales. En outre, la technologie digitale, en convergeant avec la technologie énergétique, est à l’origine d’une véritable révolution.
GDF Suez a fait, de longue date, le choix d’être présent en Europe à la fois dans le secteur de l’électricité et dans celui du gaz, notamment dans le cadre de sa grande alliance avec Gaz de France. Aujourd’hui, le groupe produit deux fois plus d’électricité en dehors d’Europe qu’en Europe. Sa capacité installée totale est d’environ 120 gigawatts, dont 10 en France, 40 dans le reste de l’Europe et 70 dans le reste du monde, ce qui fait de GDF Suez le deuxième producteur mondial d’électricité, derrière EDF (hors acteurs Chinois). C’est un des rares secteurs où les deux leaders mondiaux sont français. Je pense, du reste, que le changement de gouvernance nous permettra, à l’avenir, de coopérer davantage, notamment au grand international.
Ce qui se passe depuis quelques années en Europe nous a amenés à réagir. Nous avons ainsi annoncé, au début de cette année, une inflexion de notre stratégie, fondée sur la vision suivante. La transition énergétique est un mouvement puissant, profond et irréversible. Même si ses conséquences sont parfois douloureuses pour certains acteurs européens – je pense notamment à E.ON ou à RWE en Allemagne –, il est positif et souhaitable. Dû à la technologie et à l’attitude des consommateurs, dont le rapport à l’énergie est en train de changer – ils veulent savoir d’où vient l’électricité, la contrôler et parfois la produire eux-mêmes –, ce mouvement provoque un déclassement accéléré de ce que j’appelle le monde ancien, celui de l’énergie centralisée produite par de grandes unités.
Si la transition énergétique est mondiale, elle produit – et j’insiste sur ce point – des effets différents en Europe et dans les pays émergents. En effet, les progrès technologiques permettent de réaliser un gain d’efficacité énergétique d’environ 2 % par an, de sorte que, dans les économies européennes, où la croissance économique est nulle, la consommation d’énergie décroît d’autant – et, après tout, c’est une évolution vertueuse. Aux États-Unis et dans les pays émergents, on observe le même phénomène mais, comme ces pays connaissent un taux de croissance économique de 3 % à 4 % pour le premier et d’au moins 5 % pour les seconds, la consommation d’énergie continue d’y augmenter.
En Europe, dont le basculement date de la crise de 2008-2009, on constate par ailleurs une aspiration générale à développer la production d’énergies renouvelables. Certes, le rythme de leur croissance peut être ajusté : il était beaucoup trop élevé en Italie, en Espagne et en Allemagne, dont je rappelle qu’elle produisait dix fois plus d’EnR que la France. Mais le mouvement de construction de capacités renouvelables additionnelles – auquel, du reste, nous contribuons en tant que premier producteur en France d’énergie éolienne, géothermique et de biomasse – est général et se poursuit. Quelle est sa traduction dans un environnement où la consommation d’énergie baisse ? Eh bien, toute capacité renouvelable supplémentaire tue une capacité traditionnelle, thermique ; en France, il s’agit essentiellement de gaz.
Nous avons donc décidé, au début de cette année, de prendre acte de cette évolution et, plutôt que de la subir ou de la freiner, d’aller de l’avant en dépréciant massivement le monde ancien pour accélérer dans le monde nouveau. Cette stratégie comporte deux volets. Premièrement, nous avons l’ambition d’être le leader européen dans le domaine de la transition énergétique, ce qui suppose de se développer dans trois secteurs : l’énergie renouvelable, l’efficacité énergétique –secteur avec des services fortement créateurs d’emplois – et les nouveaux métiers de la transition énergétique, au croisement des technologies de l’énergie et du digital. Deuxièmement, nous voulons devenir l’énergéticien de référence dans les pays à forte croissance.
En France, nous souhaitons donc jouer notre rôle, en nous inscrivant dans la transition énergétique. Au demeurant, nous avons toujours considéré que la loi de transition énergétique, qui accompagne et encadre cette évolution, était une bonne loi ; elle ne se concentre pas uniquement sur le nucléaire mais couvre l’ensemble des autres champs de la transition énergétique de façon appropriée, qu’il s’agisse de la chaleur ou du gaz renouvelables.
En ce qui concerne l’électricité, nous détenons environ 7 % des capacités installées françaises – sachant qu’EDF en possède 90 %, cela laisse peu de place pour les autres opérateurs. Nous voulons acquérir, dans ce secteur, une position qui soit plus conforme à celle que nous occupons dans le monde, car la France est notre pays. Au cours des quinze dernières années, nous avons consenti d’importants efforts pour tenter d’y occuper une place plus importante. Ces efforts n’ont pas toujours été couronnés de succès, mais nous allons les poursuivre, car nous sommes « indécourageables ».
Quels sont les enjeux de la construction des prix de l’électricité pour GDF Suez ? Le cadre législatif et réglementaire doit, selon nous, permettre une réelle concurrence sur le marché de la fourniture d’électricité et refléter le coût réel de l’énergie, qui tient compte de sa rareté et de son impact environnemental, afin d’inciter les consommateurs à prendre les bonnes décisions et à adopter un comportement vertueux. Parallèlement, il convient de garantir le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises, en protégeant les consommateurs les plus sensibles. De façon générale, si les tarifs doivent refléter parfaitement les coûts, ce principe peut supporter deux exceptions qui concernent les consommateurs en situation de précarité énergétique et les industries électro-intensives. Enfin, ce cadre légal doit permettre une juste rémunération des investissements. Le principe directeur est donc que les tarifs et les prix de chaque énergie doivent couvrir les coûts directs et indirects d’un fournisseur efficient.
J’en viens maintenant au projet de décret concernant l’ARENH. La loi relative à la nouvelle organisation du marché de l’électricité de 2010, dite loi « NOME », avait pour objectif, d’une part, de permettre aux fournisseurs alternatifs, dont nous faisons partie, de concurrencer les tarifs réglementés de vente offerts par EDF dans un système où ce dernier bénéficie du monopole de la production nucléaire et, d’autre part, de faire profiter les consommateurs de l’avantage économique du parc nucléaire historique. L’ARENH a en effet été instauré parce que, contrairement à ce qui s’est passé dans tous les autres pays européens, le gouvernement français n’a pas voulu demander à l’ancien monopole de céder des capacités de production à ses concurrents. En Belgique, par exemple, où GDF Suez détenait 95 % du marché, nous y avons été contraints. E.ON, Luminus et EDF nous ont ainsi racheté des capacités nucléaires, si bien que nous détenons aujourd’hui moins de 50 % du marché belge. En France, les deux seules mesures qui contribuent à l’ouverture du marché de l’énergie sont l’ARENH, instauré par la loi NOME, et l’ouverture prochaine des concessions hydroélectriques. Et notre intention est bien de saisir cette opportunité pour accroître nos capacités hydroélectriques : nous ne voulons pas être cantonnés à nos 7 %, qui, encore une fois, sont trop peu au regard de ce que nous représentons dans le monde.
L’ARENH a ainsi pour objectif de permettre à EDF de conserver toutes ses capacités de production en cédant une partie de la production à ses concurrents afin de faire profiter les consommateurs de l’avantage économique que présente le parc historique.
Par ailleurs, la loi NOME prévoit une construction des tarifs de vente de l’électricité par empilement des coûts, qui doit entrer en vigueur au plus tard à la fin de l’année prochaine. Les tarifs réglementés de vente doivent pouvoir être concurrencés par un fournisseur alternatif efficient tout en tenant compte d’une rémunération normale du fournisseur historique, EDF. La règle consiste donc à empiler les coûts : le prix de l’ARENH, le prix du complément à la fourniture d’électricité nucléaire, le prix du marché de gros, le Tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (TURPE) et les coûts de commercialisation, auxquels s’ajoute la rémunération normale du fournisseur. Si les différentes briques reflètent bien les coûts, cette méthode permet de répondre à l’objectif de concurrence. Le consommateur doit, en outre, s’acquitter de la CSPE.
Quelles sont nos observations sur ce point ?
La méthode proposée par le Gouvernement permet à EDF d’amortir la totalité des investissements nécessaires à la prolongation des centrales nucléaires entre les travaux et 2025, date de la fin de l’ARENH. Or, la majorité des réacteurs continueront à fonctionner après cette date. EDF bénéficiera ainsi, me semble-t-il, d’une double rémunération : pendant la période de régulation, et après 2025. En conséquence, l’ARENH augmentera de 4 %, au lieu de 2 % si la rémunération des investissements était normale.
Par ailleurs, la production nucléaire du parc historique est modulée au cours de l’année pour prendre en compte les variations de la consommation d’électricité en France, qui est très liée au climat. Or, le décret ne prend pas en compte cette modulation, qui a pourtant une valeur sur le marché, que l’on estime à 1,50 euro par MWh. Ainsi, cette valeur est captée par l’opérateur historique au lieu d’être rétrocédée aux consommateurs. Il nous semble donc que la méthode employée ne respecte pas entièrement les exigences de la loi NOME, qui sont de rémunérer normalement le capital de l’opérateur historique et de restituer au consommateur final l’avantage économique de la production nucléaire.
S’agissant du plafond du volume de l’ARENH, la loi le fixe actuellement à 100 TWh, sachant que le volume utilisé est aujourd’hui de 70 TWh. Au 31 décembre 2015, les tarifs verts et les tarifs jaunes seront supprimés. Or, aujourd’hui, la concurrence n’existe pratiquement pas sur ce segment. Les besoins d’ARENH vont donc augmenter de façon importante, alors que l’on est actuellement près d’atteindre le plafond. Aussi ce plafond devrait-il, afin de tenir compte de cette situation, être doublé pour atteindre 200 TWh.
Quant aux coûts commerciaux, qui sont ceux d’un fournisseur au moins aussi efficace qu’EDF, ils doivent tenir compte du coût du service à la clientèle, des risques contractuels mais aussi des coûts d’acquisition des nouveaux clients par les opérateurs alternatifs, charge qui, bien entendu, n’incombe pas au fournisseur historique. Nous sommes favorables à cette approche, sur laquelle nous n’avons pas d’observations à formuler.
J’en viens maintenant à la CSPE. Son évolution à la hausse, liée au développement des énergies renouvelables, est renforcée par la baisse du prix de marché de l’électricité. Car, si les prix croissent pour les consommateurs, ils ont été divisés par deux ces dernières années sur les marchés de gros : de 80 euros/MWh en 2008, ils sont passés à 43 euros/MWh en France, à 36 euros/MWh en Allemagne et ils sont inférieurs à 35 euros/MWh en Scandinavie. Or, plus les prix de marché baissent, plus la CSPE, à volume identique, augmente. En effet, si l’on garantit un prix fixe, 83 euros/MWh par exemple, pour l’éolien onshore, il faut compenser la différence entre ce prix et celui du marché. Très faible en 2008, cet écart s’est creusé depuis. En fait, la CSPE est restée stable jusqu’en 2010, en dépit de l’accroissement des charges à financer ; depuis, elle augmente régulièrement, sachant que cette augmentation est plafonnée à 3 euros/MWh chaque année. Selon l’analyse de la CRE, le système est désormais sous contrôle. La hausse se poursuivra jusqu’en 2017, permettant la résorption, fin 2018, de l’avance de trésorerie, y compris les frais financiers, consentie par EDF avant 2010. Cette hausse sera ensuite de 2,3 % par an entre 2017 et 2025, puis on observera, à partir de 2025, une stabilisation de la CSPE à hauteur de 30 euros/MWh. L’incertitude concernant la trajectoire est assez limitée, car cette dernière est fondée sur des installations existantes et des projets qui sont déjà décidés pour près de 60 % des charges correspondantes.
La CSPE ne nécessite donc pas de réformes dans son principe. Le rapport de la CRE démontre du reste que le statu quo est satisfaisant. Le dispositif est assaini, puisque la dette de l’opérateur sera entièrement résorbée en 2018. La trajectoire conduit à une stabilisation des charges à couvrir à un niveau soutenable pour l’avenir. Par ailleurs, la programmation pluriannuelle de l’énergie – innovation que nous soutenons beaucoup, car elle fournira un cadre utile aux acteurs du secteur –, ainsi que le comité de gestion de la CSPE sont des outils qui permettront au Parlement de mieux maîtriser les coûts de développement des EnR, d’encourager les filières les plus compétitives et d’ajuster les trajectoires si l’on devait constater des dérives qui, pour l’instant, n’existent pas. En effet, je le redis, contrairement à ce qui s’est passé en Espagne pour l’éolien, en Italie pour le solaire et en Allemagne pour l’un et l’autre, le développement des énergies renouvelables est resté, en France, maîtrisé et raisonnable.
Le nouveau système de soutien des EnR – qui résulte d’une décision de la Commission– substitue au feed-in tariff, c’est-à-dire à l’obligation d’achat, des systèmes de primes. Il garantit ainsi, nous semble-t-il, la poursuite du développement de ces énergies sans comporter le risque de provoquer une explosion des volumes comparable à celle qui avait été observée en Allemagne, où n’importe quelle personne construisant une éolienne dans son champ était assurée de toucher des subventions pendant vingt ans.
Pour GDF Suez, il convient de bien maîtriser les coûts de développement des EnR et de privilégier les plus compétitives d’entre elles, sans remettre en cause le principe de la CSPE.
Je sais que se pose périodiquement la question de l’extension de cette dernière aux énergies fossiles. Nous n’y sommes évidemment pas favorables.
M. François Brottes. On préfère en effet en toucher plutôt qu’en payer ! (Sourires.)
M. le président de GDF Suez. Tout d’abord, si l’on étendait le périmètre de la CSPE au gaz naturel ou au fioul domestique, on opérerait un transfert de charges vers des consommateurs qui sont souvent précaires. Selon nos calculs, la facture du chauffage électrique diminuerait de 56 euros par an, tandis que celle des consommateurs de gaz naturel – dont je rappelle qu’il représente 64 % du chauffage collectif dans le logement social – augmenterait de 111 euros, soit 10 %, et celle des consommateurs de fioul, qui est très utilisé dans le monde rural et par de nombreux foyers en situation de précarité, de 153 euros par an. Un élargissement de la CSPE – qui couvre une partie du prix de l’électricité produite par les EnR et destinée par définition aux consommateurs d’électricité – reviendrait à faire payer à des consommateurs un produit qu’ils n’utilisent pas. Or, chaque énergie doit payer ses coûts et non ceux des autres.
Un mot sur le gaz naturel. S’il s’agit d’une énergie fossile, n’oublions pas qu’il contribue à la transition énergétique. En effet, à l’échelle mondiale, la lutte contre le réchauffement climatique passe davantage par le transfert du charbon vers le gaz que par le développement des énergies renouvelables. Nous pensons, quant à nous, que les deux sources d’énergie sont nécessaires, d’autant qu’elles sont complémentaires, puisque l’utilisation de gaz pour la production d’électricité est très flexible, alors que certaines énergies renouvelables sont intermittentes. Encore une fois, dans de nombreux pays, le moyen le plus rapide et le plus efficace de limiter les émissions de gaz à effet de serre consiste à remplacer les équipements fonctionnant au charbon par des équipements fonctionnant au gaz. C’est du reste ce que GDF Suez est en train de faire dans des villes telles que Pékin, Shanghai et Chongqing.
Quant à la filière du biométhane, elle est en plein développement, puisqu’il existe 500 projets d’injection dans les réseaux de gaz naturel. On pense que la proportion de biométhane dans ces réseaux pourrait atteindre 5 % en 2020, sachant que l’objectif de 2030, que le Gouvernement n’a pas souhaité à ce stade inscrire dans la loi de transition énergétique, figurera probablement dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), devrait être de 10 %. Cela conduira à une augmentation de 4 % de la facture de gaz.
J’ajoute que le gaz est soumis à des taxes, notamment à une taxe carbone, la Taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel (TICGN), qui représentera progressivement 7 % du prix du gaz. C’est d’ailleurs la hausse de cette taxe au 1er janvier qui va entraîner l’augmentation du prix du gaz de 1,8 %, prix qui aurait baissé de 0,6 % si l’on avait tenu compte uniquement du coût de la molécule. En conséquence l’effort des consommateurs de gaz naturel en faveur du climat se traduira par une augmentation de 11 % des prix à l’horizon 2020, ce qui n’est pas négligeable.
Par ailleurs, élargir la CSPE reviendrait à envoyer un signal favorable au chauffage électrique, dont on sait qu’il sollicite des moyens de production fortement émetteurs de CO2. Ce serait, en outre, incohérent dans la mesure où un risque pèse sur la sécurité d’approvisionnement, qui a d’ailleurs été remarqué par le Réseau de transport d’électricité (RTE) – c’est également le cas en Belgique. Si tous les pays européens importent de l’électricité au même moment, il risque d’y avoir un problème. Il faut donc faire attention aux pointes de consommation d’électricité en hiver et tout faire pour éviter de les aggraver. J’ajoute que l’électricité que l’on importe, notamment d’Allemagne, est souvent produite à base de charbon. Rappelons également que le contenu en CO2 de l’électricité nécessaire pour couvrir de nouveaux besoins de chauffage est plus élevé que celui du chauffage au gaz naturel – nous tenons la démonstration à votre disposition.
Aujourd’hui, le prix de l’ARENH est à 42 euros/MWh, le prix de marché de l’électricité à 43 euros/MWh. La marge est donc extrêmement réduite : le jour où le premier dépassera le second, l’ensemble du dispositif perdra son intérêt. Qui, en effet, achètera à EDF une électricité qu’il peut se procurer à un prix moindre sur le marché ?
En résumé, les règles d’élaboration du prix de l’ARENH doivent respecter les objectifs de la loi NOME : rémunérer normalement l’opérateur et redistribuer l’avantage économique du parc nucléaire aux consommateurs, ce qui n’est pas tout à fait le cas aujourd’hui. Le développement des énergies renouvelables doit être maîtrisé. À cet égard, la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et la réforme du mécanisme de soutien vont dans le bon sens. Ils garantissent une maîtrise des charges du service public et un prix optimal pour les consommateurs en envoyant les bons signaux économiques aux acteurs. L’élargissement du périmètre de la CSPE aux énergies fossiles serait non seulement anti-économique, mais aussi antisocial et anti-environnemental pour les raisons que je viens d’indiquer.
J’évoquerai, en conclusion, la fin des tarifs réglementés. En France, la situation est telle que la concurrence est très faible sur le marché de l’électricité et très élevée sur le marché du gaz. La France est en effet le seul pays d’Europe où, en matière de fourniture d’électricité, l’opérateur historique n’a pratiquement pas perdu de parts de marché ; EDF en détient toujours environ 90 %. Ce n’est évidemment pas le cas pour le gaz. En effet, si, pour les consommateurs individuels, notre part de marché est encore de 85 %, celle-ci est tombée à moins de 30 % sur le segment des plus gros consommateurs. Or, ce sont les tarifs réglementés du gaz que les pouvoirs publics ont décidé de supprimer en premier, d’abord pour les consommateurs industriels, puis, peu de temps après, pour les consommateurs professionnels. Dans ce cadre, nous avons été forcés de communiquer les informations que nous détenons sur la consommation de nos clients à tous nos concurrents, notamment à EDF, non seulement pour les consommateurs professionnels – on peut à la rigueur le comprendre, mais ils ne sont pas du tout contents – mais aussi pour les particuliers. Une telle différence de traitement me paraît anormale ; je ne comprends pas que l’on ouvre davantage encore le marché sur lequel la concurrence est la plus vive et que l’on continue à protéger l’autre.
Mme Viviane Le Dissez, présidente. Je vous remercie pour votre exposé, monsieur Mestrallet. Nous allons maintenant passer aux questions.
Mme Clotilde Valter, rapporteure. Monsieur Mestrallet, vous avez parlé du dispositif français comme d’un monde ancien. Ce dispositif et la façon dont y est organisée la concurrence influent-ils, selon vous, sur les coûts et les tarifs ?
Par ailleurs, existe-t-il un mode de calcul des tarifs différent de celui qui est actuellement appliqué qui permettrait de mieux répercuter sur les consommateurs, ménages et entreprises, les baisses de prix que vous avez évoquées ?
Enfin, le niveau extrêmement bas du prix de l’énergie, notamment de l’électricité, en dehors de l’Europe place les électro-intensifs installés dans nos territoires dans une situation limite au plan international, situation qui suscite l’inquiétude des industriels et des élus. Le cadre européen n’est-il pas trop contraignant à cet égard et ne nuit-il pas à la compétitivité des industries européennes ?
M. François Brottes. Ma principale question portera sur le marché de capacité.
J’ai bien compris, monsieur Mestrallet, que vous préfériez percevoir la CSPE plutôt que la verser ; c’est humain. Cela dit, je ne sais pas si, sur le chauffage électrique, vous tiendriez le même discours en Belgique, car, dans une maison bien isolée, un chauffage d’appoint électrique n’est pas aussi pervers que vous le dites. Le modèle économique des énergies renouvelables convient à ceux qui en produisent, puisqu’ils bénéficient d’une obligation d’achat garantie sur une certaine durée. Mais ne pourrait-on pas les responsabiliser par rapport à l’intermittence, en intégrant dans ce modèle un peu de stockage, surtout si l’on produit de l’hydrogène décarboné que l’on injecte ensuite dans le réseau de gaz ? Vous êtes, à cet égard, l’entrepreneur le mieux à même de faire évoluer le modèle. Même les Allemands commencent à dire que nous allons dans le mur. Tout ne va pas bien ! Les coûts explosent et l’inconséquence domine, si bien qu’il va falloir moraliser le dispositif. Certes, de petits opérateurs, qui sont du reste de moins en moins nombreux, cherchent à gagner de l’argent rapidement sur ces marchés. Mais d’autres opérateurs sont sérieux et connaissent parfaitement toutes les énergies à travers le monde. C’est pourquoi on attendrait de vous, compte tenu de votre palette de compétences, que vous proposiez des innovations en ce qui concerne le modèle économique des renouvelables, notamment sur la question du stockage.
Par ailleurs, l’abandon, hier, du projet de gazoduc South Stream aura-t-il des conséquences ? À ce propos, on m’a toujours expliqué que les prix du gaz étaient liés au marché du pétrole. Or, force est de constater que c’est le cas quand les prix montent, non quand ils baissent. Cherchez l’erreur ! J’imagine que vous pourrez nous éclairer sur ce point.
J’étais hier, avec les membres du bureau de la commission les affaires économiques, à Berlin, où j’ai co-animé, avec mon homologue Peter Ramsauer, une réunion de la commission de l’économie et de l’énergie du Bundestag au cours de laquelle nous avons examiné les situations française et allemande dans le domaine de l’énergie. En ce qui concerne l’Allemagne, si la scission d’E.ON plaît à certains, notamment aux écologistes, elle déplaît fortement à d’autres – en l’espèce au secrétaire d’État qui était présent –, qui se demandent si un fonds de défaisance ne sera pas créé et toute une série d’actifs dévalorisés et abandonnés à bon compte. Par ailleurs, l’éolien fatal commence à leur poser problème. Et ils nous ont également prévenus qu’ils ne seraient pas au rendez-vous de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, car ils auront encore longtemps besoin de leurs centrales à charbon. Enfin, l’abandon du nucléaire fait l’unanimité.
J’en viens maintenant au marché de capacité. Hier, j’ai également rencontré des électro-intensifs allemands, dont je tairai le nom, avec lesquels j’ai pu recouper un certain nombre d’informations. Nos voisins allemands ont compris bien avant nous qu’il y avait là un problème, et ils ne se sont pas gênés pour créer des dispositifs adaptés. Ils se sont certes fait un peu gronder par la Commission, mais ils s’en tirent assez bien, puisque cette dernière a entériné, à peu de chose près, leur dispositif.
Ainsi les électro-intensifs allemands sont aidés de trois manières. Tout d’abord, le secrétaire d’État a indiqué que leur contribution au renouvelable allait être revue. Ensuite, ils sont exonérés du paiement de 90 % du transport d’électricité. Enfin, comme les Italiens et les Espagnols, les Allemands ont mis en place un mode de subventionnement assez judicieux qui est lié au marché de capacité ou à la question de la sécurisation des réseaux. En effet, ils lancent, auprès des entreprises qui acceptent de s’effacer en cas de pointe ou d’hyper-pointe, un appel d’offres qui permet de qualifier un certain nombre d’opérateurs. Ensuite, toutes les entreprises sélectionnées bénéficient, pour être présentes dans le dispositif, d’un forfait annuel assez élevé, qu’elles perçoivent même si l’effacement n’est pas appelé. C’est donc une façon un peu détournée de baisser significativement le prix de l’électricité pour les électro-intensifs. Conscients que l’Europe a du mal à maintenir son industrie, les Allemands ont décidé de défendre la leur, sous-entendant que ce n’était pas le cas de la France, où tout le monde paie la même chose. C’est tout de même un comble !
Quoi qu’il en soit, je tenais à apporter ce témoignage à la commission. En Allemagne, on a trouvé trois moyens de baisser significativement les tarifs pour les électro-intensifs. Certes, ces tarifs ne sont plus du tout, de ce fait, orientés vers les coûts, mais j’ai compris, monsieur Mestrallet, que vous acceptiez des exceptions en faveur des précaires et des électro-intensifs.
RTE a produit un rapport un peu angoissant, dans lequel il est expliqué que la situation sera compliquée l’hiver prochain. Or, GDF Suez est perçue à cet égard comme l’entreprise qui met en péril le dispositif, puisque ce sont les nombreuses centrales combinées gaz que vous avez décidé d’arrêter qui peuvent jouer un rôle de dépannage en cas de pointe de consommation. Certes, vous ne pouvez pas maintenir en activité, pour un coût très élevé, des centrales qui ne servent jamais. Je vous pose donc la question suivante. Si nous créons, pour le dépannage en urgence, un modèle financé par un forfait garanti, sera-t-il possible de placer les centrales sous un cocon opérationnel ? Aujourd’hui, en France, il n’y a de forfait ni pour l’effacement ni pour la capacité. On fonctionne au coup par coup, ce qui prive de visibilité les investisseurs ou les producteurs qui sont tenus d’entretenir des systèmes coûteux qui ne servent pas. Une rémunération de ce type pourrait-elle vous faire renoncer à désactiver les centrales combinées gaz ? Et quelle est votre vision du marché de capacité, qui se cherche en France comme en Allemagne ?
M. le président de GDF Suez. Tout d’abord, je n’ai pas assimilé la situation française à l’ancien monde. La France a des atouts considérables. Ainsi son parc nucléaire et son parc hydraulique constituent une protection contre l’effondrement des prix de l’électricité, dans la mesure où leurs coûts marginaux de production sont inférieurs aux prix de marché. Bien entendu, le tarif constitue la protection pour l’opérateur national. Par ailleurs, les mesures de la loi de transition énergétique relatives à l’efficacité énergétique, au biogaz, à la chaleur renouvelable, aux territoires à énergie positive ou aux contrats de performance énergétique traduisent un mouvement qui est en marche et qui viendra s’ajouter et cohabiter avec le modèle ancien, lequel, contrairement au reste du système énergétique européen, est protégé, je le répète, par ses coûts de production marginaux très bas.
S’agissant de la concurrence, la France est, dans le secteur de l’électricité, le pays où la concurrence est la moins ouverte. On constate cependant une augmentation des coûts. Très longtemps, les consommateurs français ont bénéficié des coûts très bas du nucléaire, mais la Cour des comptes et le régulateur ont constaté qu’en cinq ans, ces derniers avaient fortement augmenté de 35 %. Il y a là un problème qui doit être étudié de près ; nous avons le sentiment que, dans d’autres pays, notamment en Belgique, ces coûts n’ont pas augmenté dans de telles proportions. Quant à nous, nous sommes favorables à ce que la concurrence sur le marché français de l’électricité, puisse s’accroître quand cela est possible, dans l’intérêt du consommateur, dont la palette de choix sera plus étendue, et dans l’intérêt du pays.
Y a-t-il une façon différente de calculer les tarifs ? Ces derniers doivent refléter les coûts. Nous avons indiqué que le principe de fixation des tarifs défini dans la loi et le décret nous convenaient, sauf en ce qui concerne le double amortissement d’une partie des investissements et la prise en compte de la modulation. Nous ne sommes pas révolutionnaires en la matière. Les principes sont bons, il faut simplement les appliquer correctement. Or, dans le projet de décret, ce n’est pas le cas sur ces deux points.
En ce qui concerne les électro-intensifs, il est vrai que leur compétitivité est moindre en Europe qu’aux États-Unis. Ceux-ci sont en effet en train de se doter d’un avantage compétitif spectaculaire grâce au gaz de schiste, qui a permis aux Américains de produire du gaz en grande quantité. D’où un prix bas du gaz naturel, qui se situe aujourd’hui aux alentours de 4 dollars aux États-Unis, contre plus du double en Europe. Le prix de l’électricité y est également bas, puisqu’elle est produite marginalement par des centrales à gaz. Ces dernières remplacent donc les centrales à charbon, ce qui a pour effet de faire baisser les émissions de CO2 aux États-Unis, qui ont diminué de 7 % à 8 % l’année dernière. Mais, conséquence malheureuse de cette évolution, le charbon américain, qui n’est plus utilisé dans les centrales électriques, est exporté vers l’Europe où il est vendu à des prix bas. Le charbon étant au même prix en Europe et aux États-Unis mais le gaz y étant 2,5 fois plus cher, c’est le charbon qui élimine le gaz en Europe. C’est ainsi qu’en Allemagne, en Italie, au Danemark et au Royaume-Uni, les centrales à charbon ont supplanté les centrales à gaz. Le prix de l’électricité est en effet si bas que chaque fois qu’une telle centrale fonctionne, la marge variable est négative.
Le groupe Magritte, qui rassemble à mon initiative les grands patrons de l’électricité européens, a dressé un diagnostic, très sévère, de la situation du marché européen de l’électricité et il a fait des propositions sur le marché du carbone, les émissions de CO2, le régime de soutien aux énergies renouvelables et les marchés de capacité. Les membres de ce groupe, au nombre d’une dizaine, dont E.ON, RWE, ENDESA et IBERDROLA – EDF ne nous a pas rejoints mais, sait-on jamais, cela peut changer –, ont estimé que le total des centrales thermiques fermées ou mises sous cocon par les membres du groupe au début de l’année dernière s’élevait à un total de 50 gigawatts, soit l’équivalent de 50 centrales nucléaires. Nous avons ajusté ce chiffre cet automne, avant le sommet européen : il est aujourd’hui de 70 gigawatts. Ces centrales sont fermées définitivement pour les plus anciennes et mises sous cocon pour les plus récentes. Je rappelais à Jean-Marc Ayrault, que j’ai croisé tout à l’heure, que nous avons inauguré, il y a trois ou quatre ans, une centrale à gaz sur le site de Montoir-de-Bretagne. Eh bien, cette centrale, qui a coûté 350 millions d’euros et dont la capacité est de 400 mégawatts, ne tourne plus ! En sachant que nous avons fermé, en Europe, des centrales représentant une capacité de 70 gigawatts, vous mesurez le gâchis industriel que cela représente.
Pour les gros consommateurs, le coût énergétique est donc bien plus élevé en Europe qu’aux États-Unis. Je précise qu’en Asie, qui bénéficie d’autres avantages compétitifs, notamment le coût de sa main-d’œuvre, l’énergie est également relativement chère. On assiste donc à des transferts du Moyen-Orient, d’Europe, d’Asie et même d’Amérique latine vers les États-Unis, notamment le Texas, dont le développement s’apparente à celui des pays émergents. Pour les électro-intensifs, il n’existe pas actuellement de réglementation européenne : chacun fait un peu ce qu’il veut. Ainsi l’Allemagne soutient-elle son industrie, comme l’a rappelé le président Brottes, en faisant payer le coût des énergies renouvelables par les consommateurs plutôt que par les industriels, en exonérant ces derniers du transport et en mettant en œuvre des dispositifs d’effacement très astucieux et appropriés. La question doit se poser en France, où l’on fait davantage payer les industriels que les ménages. C’est un choix politique.
J’en viens aux questions du président Brottes, à qui nous pourrons d’ailleurs fournir ultérieurement des éléments plus précis. GDF Suez a toujours essayé d’être une force de réflexion. C’est pourquoi je trouve M. Brottes sévère lorsqu’il dit qu’il attendait davantage de nous. Qu’avons-nous fait ? Nous avons réuni, à mon initiative, les patrons des plus grands électriciens d’Europe, puis nous avons établi, au début de l’année 2013, un diagnostic sur le fondement duquel nous avons bâti des propositions collectives. Ce n’était pas facile, car nous sommes dans des situations différentes. Le groupe rassemble en effet à la fois RWE, qui est le plus gros émetteur de CO2 au monde, et les leaders mondiaux du renouvelable. Nous avons pourtant réussi à présenter un paquet de propositions très audacieuses. Nous sommes ainsi les premiers à avoir plaidé pour une réduction de 40 % des émissions de CO2 à l’horizon 2030, alors que nous sommes parmi les plus gros émetteurs au monde. Il nous a semblé en effet que la situation européenne – marquée par un triple échec sur le plan du climat, de la compétitivité et de la sécurité d’approvisionnement – était tellement mauvaise qu’il nous fallait absolument faire des propositions de nature à remettre le système énergétique européen sur les rails.
Pour atteindre cet objectif, certes ambitieux mais réaliste, nous avons proposé de mettre en place un marché du CO2 et de faire du prix du carbone le paramètre essentiel de la lutte contre le réchauffement climatique et donc du développement du renouvelable et de l’efficacité énergétique. Pour éviter que ce marché ne fluctue trop, nous avons proposé de créer une sorte de banque centrale de régulation, qui s’appelle aujourd’hui Market stability reserve, que nous souhaiterions voir entrer en vigueur immédiatement, plutôt qu’à partir de 2020 comme c’est prévu. Nous avons également fait des propositions concernant l’adaptation des mécanismes applicables aux énergies renouvelables et les marchés de capacité.
Nous avons beaucoup travaillé avec la Commission européenne et nous avons rencontré les différents chefs d’État. Nous avons ainsi passé deux heures et demie avec Mme Merkel, M. Gabriel et Mme Hendricks, dont trois quarts d’heure sur les marchés de capacité. Nous avons en effet du mal à bien faire comprendre à nos interlocuteurs le lien entre marché de capacité et sécurité d’approvisionnement. Nous ne demandons pas de subventions pour les centrales que nous avons arrêtées. Nous expliquons que, dans un marché ouvert, plus personne ne voudra investir dans des équipements de pointe qui ne fonctionnent que quelques centaines d’heures par an : les prix devraient être astronomiques pour couvrir les charges de capital. En revanche – et c’est une réponse au président Brottes –, nous sommes tout à fait ouverts à la solution consistant à tenir disponibles les centrales mises sous cocon. Pour ce faire, nous avons besoin de couvrir les coûts variables liés au maintien en activité – les charges de capital, nous avons tiré un trait dessus. Si maintenir des centrales disponibles en attendant qu’elles fonctionnent est un cash drain, la logique économique impose qu’on les ferme. Si le système énergétique, qui a besoin de disposer de ces capacités pour faire face aux pointes de consommation, rémunère les coûts variables, la logique économique impose de les maintenir ouvertes. Au reste, la Bavière, qui s’est aperçue que la disponibilité de certaines centrales lui serait nécessaire pour passer l’hiver, a négocié directement avec quelques opérateurs, notamment E.ON, pour leur garantir une rémunération compensant les coûts du maintien en activité de ces centrales. Ce système est relativement simple, et nous y serions ouverts.
L’arrêt du projet South Stream n’est pas une tragédie pour la sécurité d’approvisionnement de l’Europe. Au demeurant, je ne suis pas certain que ce projet aurait pu aller à son terme. Il représentait en effet un investissement extrêmement coûteux sans être absolument indispensable, compte tenu de l’existence de North Stream et des futurs gazoducs transanatolien, qui devrait acheminer du gaz de l’Azerbaïdjan vers l’Europe via la Turquie, et transadriatique (TAP). Qui plus est, la consommation de gaz diminue en Europe. Certes, les productions européennes baissant un peu plus vite, notamment en Mer du Nord, les besoins en importation augmentent, mais ils augmentent lentement. À ces nouveaux canaux d’approvisionnement, il faut ajouter le gaz naturel liquéfié et le biogaz, qui renforce la sécurité d’approvisionnement de notre pays, surtout s’il peut représenter 10 % en France à l’horizon 2030.
Par ailleurs, je rappelle que c’est le marché qui a indexé le prix du gaz sur celui du pétrole, suivant en cela une vieille tradition. Ainsi les contrats d’approvisionnement, dont je rappelle qu’ils sont signés pour vingt ans, conclus avec l’Algérie, la Norvège et la Russie, qui représentent la plus grande part de l’approvisionnement de la France – et de l’Europe, du reste – étaient tous indexés sur le pétrole. La situation est donc devenue très grave pour nous lorsque, après la crise de 2008-2009, les prix du gaz ont considérablement baissé sur les marchés européens alors que le prix du pétrole restait élevé, aux alentours de 100 dollars le baril – il l’était encore il y a trois mois. GDF Suez, E. ON ou ENI payaient leur gaz très cher à ces grands producteurs, alors que certains consommateurs pouvaient s’approvisionner directement sur le marché européen à un prix nettement moins élevé. Dès lors, soit nous nous alignions et nos marges devenaient négatives, soit nous ne vendions pas et nous perdions des parts de marché. Nous avons donc durement négocié avec Gazprom, de sorte qu’aujourd’hui, l’indexation sur le prix du pétrole a été réduite de moitié. Dans nos contrats de gaz de long terme, les prix sont désormais indexés pour moitié sur le marché du gaz en Europe et pour moitié sur le prix du pétrole. C’est pourquoi, actuellement, le prix du gaz baisse : de 7 % à 8 % l’an dernier et de 2,8 % cette année. Cette pression à la baisse va d’ailleurs se poursuivre, compte tenu de la diminution accélérée du prix du pétrole. L’indexation sur le prix du pétrole constituait la pratique dans le monde entier. Loin de l’avoir décrétée, nous avons fait tout notre possible pour que cette indexation soit progressivement ramenée à 90 % puis à 70 %, pour arriver à 50 % aujourd’hui.
Enfin, M. Brottes disait que nous préférions toucher la CSPE plutôt que la payer. Je rappelle que ce n’est pas nous qui la paierions, mais les clients consommateurs de gaz et de fioul. Quant à ce qui est de la toucher, non seulement les énergies renouvelables représentent 60 % de la CSPE, mais le solaire, qui est produit surtout par EDF Énergies nouvelles, coûte plus cher que l’éolien, qui est plutôt notre spécialité.
M. Jean-Pierre Gorges. Tout d’abord, monsieur Mestrallet, je rejoins M. Brottes, mais je formulerai les choses différemment. Je cherche à faire la part, dans votre intervention, de ce qui relève, d’un côté, de la démarche marketing d’un groupe qui a besoin de faire des profits et, de l’autre, de l’analyse de l’évolution d’un pays qui cherche sa voie, puisqu’on a pu constater que les positions sont partagées sur la transition énergétique. À ce propos, vous avez confirmé que l’équation de la transition serait équilibrée si la consommation baissait, car les EnR ne parviendront pas à se substituer, au moins dans un premier temps, à la production nucléaire. Au demeurant, vous estimez que le monde évolue vers une décroissance durable de la consommation énergétique. Il est vrai que c’est le cas en Europe depuis 2007. Mais il est un peu inquiétant de bâtir un modèle sur une décroissance durable, quand les gouvernements prônent la croissance et cherchent à la stimuler pour tenter de rééquilibrer les comptes publics.
J’ai donc le sentiment que votre discours relève plutôt du marketing. Je le comprends bien, du reste : la désinstallation des centrales nucléaires représenterait un business terrible ! Quant aux solutions que vous proposez, elles sont si complexes et variées que plus personne ne s’y retrouve. D’un côté, l’Europe prône la libéralisation du marché mais, de l’autre, on observe des jeux de subventions et de compensations. S’agissant du nucléaire, on comprend, en vous écoutant, qu’il présente l’avantage de ne pas être cher et que le seul inconvénient que vous semblez lui trouver, c’est que la production est centralisée. Cela me rappelle la guerre de l’informatique que l’on a connue il y a trente ans, entre informatique centralisée et informatique répartie. En fait, et l’autre et l’autre gagnent.
Mes questions seront très précises.
Premièrement, pensez-vous que l’Europe s’inscrit dans une décroissance telle que la consommation d’électricité baissera ?
Deuxièmement, les investisseurs, notamment les électro-intensifs, ont besoin d’avoir une visibilité à long terme, supérieure à six mois, ce qui est difficile en France. Certains des dispositifs prévus dans le cadre de la transition énergétique le sont, certes, jusqu’en 2025, mais les investissements dans le nucléaire concernent des centrales qui sont faites pour durer, non plus quarante ans, comme c’est le cas en France aujourd’hui, mais soixante ou quatre-vingts ans, notamment aux États-Unis. Que va-t-il donc se passer selon vous après 2025 ? Ne pensez-vous pas qu’une transition énergétique est possible dans le nucléaire, de la troisième génération vers la quatrième génération ? On nous a en effet expliqué, dans le cadre de la commission d’enquête sur le coût du nucléaire, qu’à consommation égale, nous disposons de 130 ans de réserves d’uranium pour la troisième génération et de 7 000 ans pour la quatrième génération. Le combustible deviendrait ainsi illimité, donc assimilable aux énergies renouvelables, et la problématique du nucléaire ne concernerait plus que la sécurité.
Troisièmement, pensez-vous que les EnR pourront pallier la décroissance du nucléaire à l’horizon 2025 ?
Par ailleurs, je l’ai dit, le système est devenu d’une complexité telle que plus personne n'y comprend rien. Vous venez de nous en donner une illustration à propos de l’indexation des prix du gaz sur ceux du pétrole, qui aboutit à des situations totalement contradictoires. Or, on pourrait, me semble-t-il, imaginer des solutions simples qui apaiseraient les inquiétudes en Europe. Vous avez du reste démontré qu’ailleurs, les choses se faisaient plus rapidement et plus facilement : certains États américains connaissent des taux de croissance proches de ceux des pays émergents grâce à des solutions pragmatiques fondées notamment sur le gaz de schiste.
Encore une fois, je peine à faire la distinction, dans vos propos, entre l’analyse de la destinée de notre pays et la démarche marketing d’un groupe qui a besoin de préserver ses marges et ses parts de marché, que vous avez d’ailleurs évoquées à maintes reprises. Quant à moi, je cherche, dans le cadre de cette commission d’enquête, à étudier la situation actuelle pour définir la stratégie de demain, car il me semble que la transition énergétique proposée ne fournit pas de réponse définitive aux orientations que doit suivre notre pays.
Mme Jeanine Dubié. Monsieur Mestrallet, dans le contexte inquiétant de la précarité énergétique, vous avez milité en faveur de l’extension des tarifs sociaux et de la création du « chèque énergie », souhaitant d’ailleurs que ces deux dispositifs puissent être complémentaires. Comment pourrait-on selon vous compenser la montée en charge des tarifs sociaux ?
Par ailleurs, vous avez évoqué les marchés de capacité, dont vous nous avez bien expliqué qu’ils visaient à assurer la sécurité d’approvisionnement en période de pointe. Du fait des interconnexions, ils doivent être coordonnés et cohérents au niveau européen. Or, vous avez indiqué que le message avait du mal à passer auprès des chefs d’État. Est-ce le cas de tous ou de certains seulement ? Et quelles sont les raisons de ce blocage ? Si la dimension européenne des marchés de capacité n’est pas prise en compte, courons-nous un risque majeur en matière d’approvisionnement au plan européen ?
Enfin, le dispositif dont bénéficient les électro-intensifs allemands vous paraît-il transposable en France ? Ce sujet nous préoccupe beaucoup, car nous avons tous des industries de ce type dans nos circonscriptions, notamment lorsque nous sommes élus de la montagne.
Mme Viviane Le Dissez, présidente. Je souhaiterais, pour ma part, que vous nous indiquiez la façon dont vous envisagez le fonctionnement d’un marché du CO2.
Mme la rapporteure. Pourriez-vous revenir sur l’évolution comparée du coût du nucléaire en France et chez nos voisins ?
M. le président de GDF Suez. M. Gorges a soulevé de nombreuses questions. Tout d’abord, la complexité, ce n’est pas nous qui l’inventons. Le monde de l’énergie est aujourd’hui un monde à trois vitesses : dans les pays émergents, les besoins sont croissants ; en Amérique du Nord, la situation est bouleversée par l’apparition des gaz et pétroles de schiste ; et l’Europe est marquée par ce que j’appelle « les 4 D » : la dérégulation, qui du reste n’en est plus une aujourd’hui ; la décentralisation, rendue possible par la technologie et la miniaturisation des unités de productions ; la digitalisation, c’est-à-dire la convergence des technologies numériques et énergétiques, qui joue un très grand rôle en matière d’efficacité énergétique ; et la décroissance.
Je ne suis pas du tout favorable à la décroissance européenne, au contraire. Simplement, je constate que la croissance est absente aujourd’hui. J’espère de tout cœur qu’elle sera de retour, et elle le sera sans doute. En tout état de cause, on observe désormais un écart, de l’ordre de 2 % par an, entre la croissance économique et la croissance de la consommation d’énergie. C’est une donnée que l’on observe partout dans le monde. Mais, comme l’Europe est la seule zone économique du monde dont la croissance du PIB se situe autour de zéro, et ce depuis 2008, la consommation d’énergie y décroît depuis cette date. Mais elle n’est pas pour autant condamnée à décroître quoi qu’il arrive. Si la croissance économique européenne était à nouveau supérieure à 2 %, la consommation d’énergie croîtrait également ; mais aujourd’hui, elle est négative. Cela dit, je le répète, le décrochage entre croissance du PIB et croissance de la consommation d’énergie est une tendance structurelle.
Ainsi, en tant que groupe industriel, nous vendons, en Europe, moins de gaz et d’électricité, mais nous vendons davantage de services d’efficacité énergétique. Nous avons du reste créé une division spécialisée dans ces services – composée d’entreprises telles que Cofely, Ineo, Endel, Axima et Tractebel Engineering –, qui emploie 90 000 personnes et qui est en croissance. Nous constatons donc actuellement à la fois une baisse de la consommation d’énergie en volume et une croissance de la demande en matière de services d’efficacité énergétique. J’ajoute, au passage, que cela crée de l’emploi. Si nous avons un programme de 45 000 embauches en France sur cinq ans, c’est notamment grâce à la croissance de ces services. En revanche, lorsque nous fermons des centrales à gaz, nous détruisons de l’emploi – peu, heureusement, car ces centrales fonctionnent presque de manière automatique. Mais elles coûtent très cher en capital. Lorsqu’on en ferme une, on fait donc un important write-off, c’est-à-dire une dépréciation, et on supprime l’emploi de vingt personnes, que nous n’avons aucun mal à recaser, compte tenu de cette dynamique d’embauche.
Par ailleurs, vous avez peut-être eu le sentiment, monsieur Gorges, que j’étais antinucléaire.
M. Jean-Pierre Gorges. Non, mais vous n’avez rien dit à ce sujet. C’est mystérieux. En vous écoutant, on a le sentiment que le renouvelable réglera tous les problèmes. Vous n’avez pas du tout abordé la destinée du nucléaire, qui fait débat, ici.
M. Le président de GDF Suez. J’aurais pu parler davantage du nucléaire, mais GDF Suez, qui détient une participation dans les centrales de Chooz et du Tricastin, n’est pas un opérateur nucléaire en France. Nous avons tenté de le devenir, puisque j’étais partisan de la construction, dans la vallée du Rhône, d’abord d’un EPR, puis d’un ATMEA. On m’a fait beaucoup de promesses, mais je n’ai jamais rien vu venir. Nous avons donc tiré un trait là-dessus. En revanche, GDF Suez possède sept centrales nucléaires en Belgique. Surtout, nous participons à deux grands projets internationaux, dont l’un, situé en Turquie, est le plus grand projet au monde depuis Fukushima. Il porte sur la construction de quatre ATMEA, modèle que nous avons pris le risque de présenter à l’international sans disposer d’un démonstrateur en France. Nous étions en compétition avec les Coréens, qui avaient battu l’« équipe de France » à Abou Dhabi, les Chinois et les Russes. C’est le consortium franco-japonais qui l’a emporté. Mais cette belle victoire a peut-être été moins célébrée que n’avait été déploré le « désastre national » à Abou Dhabi... Nous avons un autre projet en Grande-Bretagne avec Toshiba.
Il me semble qu’en matière de nucléaire, il faut d’abord que la génération 3 réussisse avant de passer à la génération 4.
M. Jean-Pierre Gorges. Il faut commencer !
M. le président de GDF Suez. Oui, et du reste le CEA a un projet concernant la génération 4. Quant à nous, nous travaillons beaucoup, avec Areva et maintenant Mitsubishi, sur le detail design de la génération 3, puisque nous allons devoir construire quatre ATMEA en Turquie. Mais, vous avez raison, il faut également travailler sur les perspectives qui s’ouvrent, sachant que la question du combustible sera en effet pratiquement éliminée.
Nous plaidons en faveur de la poursuite du nucléaire en Belgique. En 2003, lorsque les Verts participaient au Gouvernement, la Belgique a décidé de sortir du nucléaire : une loi a été votée qui prévoyait la disparition des centrales atteignant quarante ans. Mais, en 2009 – les Verts avaient quitté le Gouvernement –, j’ai négocié avec le Premier ministre, M. Van Rompuy, un accord aux termes duquel les trois premières centrales atteignant quarante ans seraient prolongées de dix années, moyennant le versement de 250 millions d’euros au budget de l’État belge. L’allongement de la durée de vie d’une centrale est un investissement extrêmement rentable. N’oublions pas qu’en Allemagne, avant de décider l’arrêt du nucléaire, Mme Merkel avait choisi d’allonger la durée de vie des centrales, moyennant le versement par les opérateurs de 2,3 milliards au budget de l’État allemand. Dans tous les pays où cet allongement a été décidé, ce sont les opérateurs qui ont payé ; en France, on a parfois le sentiment que l’on veut faire payer tout de suite le consommateur pour des programmes d’allongement de la durée de vie des centrales, des investissements, qui ne sont pas encore réalisés. Il faut étudier cette question.
En tout état de cause, nous, nous ne faisons pas de marketing.
S’agissant du coût du nucléaire, madame la rapporteure, le prix est aujourd’hui de 45 euros/MWh sur le marché belge. Le gouvernement belge nous fait payer une taxe de 500 millions d’euros, que nous contestons, pour un parc de sept centrales – cinq de 1 000 mégawatts et deux de 500 mégawatts – dont la capacité totale est de 6 000 mégawatts. L’accord que j’avais signé avec M. Van Rompuy, avec l’approbation unanime du conseil des ministres, n’a pas été respecté par les gouvernements suivants. Les socialistes francophones étant plutôt pro-nucléaires et les socialistes flamands plutôt anti-nucléaires, nous avons fait les frais de la coalition. Nous nous apprêtions donc à fermer, l’année prochaine, trois centrales – les deux plus petites et une grande, soit 2 000 mégawatts au total –, lorsque le Gouvernement s’est aperçu que ces fermetures pouvaient poser des problèmes de sécurité d’approvisionnement. Un compromis a donc été trouvé, et il a été décidé de fermer les deux petites, Doel 1 et 2, et de prolonger de dix ans la durée de vie de la plus grande, Thiange 1. Ce nouvel accord a fait l’objet d’un texte de loi spécifique. Aujourd’hui, les partis formant la coalition qui compose le nouveau gouvernement de M. Michel, nommé récemment, sont plutôt pro-nucléaires. Or, compte tenu de la fermeture de nouvelles centrales d’ici là, des problèmes d’approvisionnement risquent de se poser l’hiver prochain, en Belgique mais aussi en France et dans d’autres pays. Nous discutons donc actuellement avec le gouvernement belge de l’allongement de dix ans de la durée de vie des centrales Doel 1 et 2. J’ignore si ces discussions aboutiront à un accord. Quoi qu’il en soit, nous sommes prêts à effectuer les opérations nécessaires à cette prolongation, qui nécessite un investissement de 600 millions pour Thiange 1 et de 700 millions pour Doel 1 et 2. Nous ne les réaliserons que si nous trouvons une solution économique, ce qui suppose que le gouvernement belge renonce à une partie de sa taxe.
Jean-Pierre Gorges. C’est ce que nous ferons en France en 2017 ! (Sourires.)
M. le président de GDF Suez. Le Gouvernement décidera. Mais la question de la durée de vie des centrales nucléaires est une question que tout gouvernement doit se poser. On a vu, du reste, qu’en Belgique, les positions avaient évolué sur ce sujet.
Mme Dubié m’a interrogé sur les tarifs sociaux et le « chèque énergie ». Nous militons depuis longtemps en faveur d’une extension des tarifs sociaux du gaz à l’ensemble des ménages en situation de précarité énergétique, sachant que les tarifs appliqués au reste de la population doivent refléter les véritables coûts. Nous avons pris acte des décisions qui ont été prises il y a deux ans concernant l’extension des tarifs sociaux et les tarifs normaux. À ce sujet, la nouvelle formule des tarifs de gaz, qui changent chaque mois en fonction de l’évolution réelle du coût de la molécule et répercutent une fois par an la hausse du coût des infrastructures, fonctionne bien. Elle a abouti à une dépolitisation de la fixation des tarifs du gaz, qui est désormais quasi automatique. Qui plus est, les évolutions intervenant chaque mois, elles sont plus faibles. Certes, une hausse de 4 % liée aux coûts des infrastructures est intervenue le 1er juillet, mais elle a été entièrement effacée par la baisse du prix de la molécule. Quant à la taxe, elle provoquera au 1er janvier une légère hausse. Cette nouvelle formule de calcul est le complément naturel de l’extension des tarifs sociaux.
Quant au « chèque énergie », contrairement aux tarifs sociaux, qui s’appliquent automatiquement, il sera accordé aux consommateurs concernés une fois qu’ils auront rempli un formulaire et l’auront retourné à leur fournisseur d’énergie. Or, l’expérience montre qu’un dispositif de ce type produit toujours une déperdition, d’autant plus importante que les ménages concernés sont en situation difficile. Ce n’était pas notre préconisation, mais c’est un choix du Gouvernement et, bien entendu, nous appliquerons avec la plus grande efficacité possible la décision prise.
Par ailleurs, nous recommandons la création d’un marché de capacité à l’échelle européenne. C’est une difficulté politique. Mais, comme pour une assurance, une sécurité élevée a un coût. On dit que le risque d’un grand black-out est exagéré. Néanmoins, les consommateurs sont-ils prêts à payer pour se prémunir contre ce risque et, si ce n’est pas eux, qui ? Imaginons qu’en plein hiver, un grand anticyclone glacial stationne sur l’Europe : absence de vent, très grand froid, fonctionnement à plein régime des appareils de chauffage – et en France, il s’agit surtout de chauffage électrique. Tous les pays ont donc besoin d’électricité au même moment, et, en l’absence de vent et de soleil, les énergies renouvelables ne sont d’aucun recours.
Jean-Pierre Gorges. Elles ne sont jamais là quand on a besoin d’elles !
M. le président de GDF Suez. En tout cas, leur production est aléatoire. De temps en temps, quand elles sont en trop grande quantité, et c’est de plus en plus courant, le prix de l’électricité devient négatif et, quand les besoins sont très importants, le prix est élevé, mais il n’y a pas d’électricité physique. Et si, entre-temps, l’on ferme les centrales à gaz, elles ne pourront plus servir d’appoint. Le risque est donc réel. D’où l’intérêt pour le système électrique de sécuriser des capacités disponibles, qui seront appelées en cas de besoin par le Transport system operator (TSO), RTE en France.
S’agissant des électro-intensifs, il me semble que nous devrions essayer de nous inspirer, au moins en partie, du système allemand.
S’agissant du CO2, le nombre des quotas émis étant fixe, les offres sont devenues trop nombreuses au moment de la grande récession de 2009 et leur prix s’est effondré. Pour tenter d’éponger cet excès d’offre, la Commission européenne a procédé à ce que l’on appelle un backloading : elle n’a pas éliminé les certificats excédentaires, car elle n’en avait pas juridiquement la possibilité, mais elle les a reportés à l’échéance du système actuel, qui prendra fin en 2020. Le retrait temporaire du marché de ces certificats a fait remonter un peu les prix, qui sont aujourd’hui de 6 euros – mais ils étaient compris entre 20 et 25 euros par le passé ; il n’y a donc plus de signal carbone aujourd’hui.
Le problème n’est pas pour autant réglé, car – et c’est l’absurdité du système – ces certificats ne peuvent pas être annulés. Il faudra donc les remettre sur le marché avant 2020, ce qui aura pour conséquence de faire à nouveau baisser les prix. Nous y sommes absolument opposés, car la politique climatique doit principalement reposer, au plan mondial, sur la fixation du prix du carbone. L’Europe est en avance en la matière. Elle s’est fixé des objectifs de diminution des émissions de CO2 ambitieux, et le meilleur moyen d’atteindre ces objectifs est de rétablir un marché du carbone crédible. Or, nous savons que les prix vont de nouveau s’effondrer d’ici à 2020 et que la crédibilité du système sera donc ruinée.
C’est pourquoi le groupe Magritte a milité en faveur d’une banque centrale des certificats. Cette idée a été retenue dans le paquet énergie-climat approuvé par la Commission au début de l’année et par le Conseil lors du sommet du mois d’octobre. Le processus est donc en cours. Mais il est prévu que cette banque, le Market stability reserve, ne fonctionne qu’à partir de 2020, sous le régime du nouveau système. Nous demandons, quant à nous, non seulement qu’elle soit créée tout de suite, mais que tous les certificats excédentaires y soient déposés et n’en sortent plus, afin d’éviter l’effondrement du système. C’est très important, car ce qui se passe en Europe est observé par le monde entier. Le sommet de Paris, la COP21 – actuellement préparé par la COP20, qui se tient à Lima – aura lieu l’année prochaine.
Le lendemain de l’Assemblée générale des Nations unies, M. Ban Ki-Moon avait convié l’ensemble des chefs d’État à participer à une réunion consacrée au climat. Un certain nombre de chefs d’entreprise ont été invités, et j’ai ainsi eu le privilège d’intervenir, à la demande du Secrétaire général des Nations unies, sur le global carbon pricing, c’est-à-dire l’extension d’un marché du carbone à l’échelle mondiale. Ce type de marchés se développe partout dans le monde. Les Chinois sont très pragmatiques à cet égard. Il existe actuellement en Chine sept marchés du carbone locaux. Pour l’instant, ils observent la manière dont cela fonctionne, et peut-être créeront-ils un jour un grand marché national du carbone. Aux États-Unis, il existe un marché en Californie et un autre en Nouvelle-Angleterre.
C’est donc l’Europe qui est allée le plus loin en la matière puisqu’elle a créé un marché qui couvre les vingt-sept États membres. On voit pourtant se profiler l’effondrement du système. Nous n’avons pas encore été entendus sur ce point, même si nous avons été reçus, avant le sommet, par le chef de l’État, qui a été convaincu par notre argumentation. Mais on ne change pas les termes d’un accord élaboré au terme de semaines de négociation la veille d’un sommet. Sous cette seule réserve, le dispositif adopté est, dans son ensemble, satisfaisant.
Mme Viviane Le Dissez, présidente. Je vous remercie, monsieur le président Mestrallet, d’avoir répondu à nos questions.
——fpfp——
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité
Réunion du jeudi 4 décembre 2014 à 8 h 45
Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. François Brottes, M. Guillaume Chevrollier, Mme Jeanine Dubié, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, Mme Viviane Le Dissez, Mme Annick Le Loch, Mme Béatrice Santais, Mme Clotilde Valter
Excusés. - M. Michel Destot, M. Hervé Gaymard, M. Jean Grellier, M. Alain Leboeuf